A partir de la rentrée de septembre 2019, tous les étudiants qui voudront devenir instituteur ou régent feront leurs études en quatre ans et plus en trois ans comme actuellement. Dans le même temps, la Wallonie est en manque de professeurs de math, de sciences et de langues. Par ailleurs, un nouveau professeur de langues sur quatre n’a pas le titre requis ou suffisant pour enseigner.

Que la formation soit de trois ou de quatre ans, un constat s’impose : mettre un pied dans le système est un véritable parcours du combattant pour les jeunes enseignants.

Un emploi stable aux prix de quatre ans d’expérience minimum

Au cœur du système d’emploi des instituteurs et professeurs, un principe clé : la nomination. Pour être titulaire d’un poste fixe, un enseignant doit obligatoirement être nommé. Un statut qui n’est pas accessible au premier venu : plusieurs conditions sont nécessaires. Partout, la nomination nécessite les titres requis mais aussi de l’expérience, en fonction du réseau où travaille l’enseignant.

En Wallonie, plusieurs réseaux existent, chacun encadré par son propre décret :

  • L’officiel organisé où la Fédération Wallonie-Bruxelles est à la fois employeur et régulateur
  • L’officiel subventionné où la région n’a qu’une participation financière, tandis que ce sont les communes et provinces qui endossent la casquette de “pouvoir organisateur” (PO) et prennent en charge l’emploi des professeurs
  • Le libre subventionné, toujours financé par l’instance régionale mais géré par une ASBL privée qui fait office de pouvoir organisateur. C’est notamment le cas des écoles catholiques, on distingue d’ailleurs l’enseignement libre confessionnel du non-confessionnel

Deux régimes différents se côtoient avec ces réseaux. Pour postuler dans l’officiel organisé, l’enseignant s’adresse directement à la Fédération Wallonie-Bruxelles qui centralise les opportunités d’emploi. Pour un poste dans l’officiel ou le libre subventionné, le professeur doit se tourner vers le pouvoir organisateur de l’école où il souhaite être embauché. Autant dire que pour augmenter ses chances, mieux vaut multiplier les PO.

L’expérience nécessaire à la nomination varie elle aussi. Un enseignant en poste dans l’officiel organisé et subventionné doit avoir presté 600 jours sur minimum trois ans – dont 240 dans la fonction où il postule – pour être candidat à la nomination. Dans le libre, les trois ans minimum restent en vigueur mais 720 jours sont nécessaires pour être nommé. Dans un réseau comme dans l’autre, il faut au minimum quatre ans d’expérience pour espérer un emploi stable.

La nomination n’est possible que si un poste est vacant dans le réseau où l’enseignant remplit les conditions. L’expérience doit être acquise dans le PO où l’enseignant veut être nommé ou bien dans n’importe quelle école du réseau si l’enseignant est dans l’officiel organisé. Bref, il n’est pas simple de s’y retrouver dans ce système alambiqué.

La vie de jeune enseignant : entre stress et intérims

De nombreux candidats professeurs sortent chaque année des écoles qui forment à l’enseignement. Qu’ils se destinent à être instituteur ou professeur dans une matière spécifique, les règles sont identiques pour tous, les difficultés aussi.

Quand tu es jeune instituteur, il faut s’accrocher. Tu ne sais jamais de quoi est fait demain“, pointe Jérémy Evrard. Cet instituteur de 22 ans enchaîne les remplacements en région liégeoise. Il n’hésite pas à multiplier les kilomètres pour ne pas rester inactif. Après avoir terminé ses trois ans de formation il y a deux ans, il n’a “jamais travaillé plus de quatre mois dans la même école“.

Du côté du Brabant wallon, Charlotte Kotnik est professeure de français depuis quatre ans. Elle vient tout juste d’être nommée et sait la chance qu’elle a : “Parmi les personnes que j’ai rencontrées durant mes études, je suis la seule à avoir un emploi stable.” Elle remarque que certains ne supportent pas d’accumuler les contrats de remplacement dans des écoles différentes. “Une collègue a repris des études de comptabilité. Elle en a marre d’être toujours en situation d’insécurité“, observe la Brabançonne, originaire de Corbais.

J’ai eu plusieurs intérims dans la même école. J’étais trop bien mais je me disais toujours : ‘Si ça tombe je ne suis plus là l’année prochaine’

La dynamique de réseaux génère des situations peu enviables, comme celle de Florence Antonello, 24 ans. Cette Liégeoise enseigne les sciences économiques dans l’officiel organisé à Verviers. Elle compte sur cette place pour “se poser enfin“, mais elle sait que rien n’est garanti tant qu’elle n’est pas nommée. Elle a pourtant de l’expérience, mais a enseigné dans l’officiel et le libre subventionné avant d’être engagée dans son école actuelle. La jeune femme reprend à zéro en terme d’expérience pour être candidate à la nomination. Selon elle, cette situation génère beaucoup de stress.

Le système plâne comme une épée de Damoclès au dessus de ces jeunes enseignants. Accumulant les intérims pour être nommés, leur emploi n’est jamais garanti. “S’il y a une réaffectation, à tout moment, une personne nommée peut prendre ta place et tu dois reprendre les recherches“, s’inquiète Charlotte Delhaye qui enseigne dans une école primaire de Theux. “Je suis toujours chez mes parents, explique-t-elle, je peux me permettre de rester sans emploi quelques temps, mais je n’ose pas imaginer la pression que doivent subir les personnes qui vivent seules.

La pénurie allège la pression pour certains

Du côté des matières dites “en pénurie”, les difficultés divergent partiellement. Ils trouvent plus facilement des postes de remplacement, mais cela ne garanti pas davantage la stabilité de l’emploi.

Pour Ramina Alias, qui a terminé ses études en juin 2017, trouver un poste n’a été qu’une formalité. Grâce à un mail unique et en seulement vingt minutes, elle est embauchée pour donner six heures de cours à Soignies. Même constat du côté d’Hugo Chot, un jeune professeur de mathématiques, une matière également touchée par le manque de professeurs. “Je n’ai pas eu de soucis pour trouver des heures“, affirme-t-il. Il a désormais l’équivalent d’un temps plein, cumulant des cours dans deux écoles à Dinant et Beauraing (Namur).

En juin, les enseignants qui ne sont pas nommés sont systématiquement de retour sur le marché de l’emploi, à moins qu’un accord soit conclu avec la direction de l’école où ils travaillent. Les offres d’emploi ne tombent alors que tardivement en août.

Une professeure d’anglais et de néerlandais originaire de Sprimont explique que, quatre ans durant, elle a travaillé dans le degré inférieur (1re et 2e secondaire). Pourtant, son diplôme de master lui permettait de donner cours dans le supérieur pour un meilleur salaire.

Chaque année, malgré les lettres et les CV que j’envoyais pour des emplois dans le supérieur, je n’avais aucune réponse en juin. J’acceptais toujours de revenir l’année suivante dans l’école où j’étais. Je ne pouvais pas prendre le risque de ne rien avoir en septembre“, témoigne-t-elle. Si depuis cette année, cette jeune femme occupe un poste qui concorde avec sa formation, elle était systématiquement contactée fin août mais n’ayant aucune garantie et soucieuse de préparer ses cours à l’avance, elle restait année après année avec les “bébés” comme elle les appelle.

La formation: un débat alternatif

Suivre quatre ans de formation plutôt que trois ? Les avis sont mitigés parmi les enseignants que nous avons contactés. Certains estiment que les trois années de cours suffisaient, tandis que d’autres pensent que cet allongement des études permettra de revaloriser la formation.

Concernant le salaire, tous trouvent normal que les personnes les plus formées soient mieux rémunérées, comme l’évoque le plan dévoilé la semaine dernière par le gouvernement. Ils sont d’ailleurs unanimes : si l’année de formation supplémentaire qui débouchera sur une égalité salariale est intéressante, ils la feront.

Reste encore qu’une formation allongée ne facilitera pas l’entrée dans le milieu de l’enseignement pour tous ces jeunes professeurs qui enchaînent les remplacements sans réelle sécurité d’emploi.

RTBF, 28 janvier 2018

L’équipe du Cepha, Conseillers en orientations scolaire et professionnelle.